Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/07/2008

Jacques Josse

 

Mentir apaise sa douleur. Les yeux plongés dans les auréoles de gasoil qui colorent le bassin, il affirme soudain (les voisins baissent la tête) que l'an passé, à la Toussaint, pour sauver l'âme du péri, pour que les gens du fond l'invitent (où qu'il se trouve) à s'asseoir autour des tables de pierre, il s'est décidé à quitter l'anse de Gwin-Zegal pour se rendre aux îles Sulawesi. Là-bas, vit une sorte de fée des mers. Il lui devait une offrande. Après avoir versé deux doigts de rhum sur un buisson de corai, (il ne ment plus : il est même persuadé d'avoir réalisé cela) il a mis à l'eau et fait se diriger vers elle une noix de coco percée avec à bord des lamelles de mangue, du tabac, du manioc, des pétales de roses et une bougie allumée par le briquet du défunt.

 

* * *

 

Pas loin, le père, ses doigts tremblent entre des photos sorties d'une vieille boite en fer, peinte au rouge sang de boeuf, murmure, à peine audible, l'arthrose ayant déjà gagné ses mâchoires, là c'est lui, le jour où son oncle lui a ramené un perroquet d'Afrique. Il pose assis et souriant, l'oiseau multicolore à sa droite, sur le mur près du perchoir. N'a pas encore la tête ravagée qu'on lui connaîtra deux ans plus tard, quand il rentrera dans la cuisine en marmonnant qu'il n'en pouvait plus, qu'il a fini par actionner la poulie avec la corde et le seau au bout, envoyant, ficelé dedans, le braillard d'Accra insulter l'eau croupe au fond du puits.

 

Sur les quais. - TraumfabriK, 2007. - 41 p.

 

 

Jacques Josse

 

Né en 1953. Parmi ses autres recueils : Fissures (Amériane, 1979) ; Tachée de rue la blessure (Castor Astral, 1979) ; Fabrique (Dé bleu, 1981) ; Deuxième tableau (Castor Astral, 1983) ; Talc couleur océan (Table Rase, 1987) ; Des voyageurs égarés (Écho des brumes, 1994) ; Le veilleur des brumes (Castor Astral, 1995) ; Des étoiles dans le coeur (Dana, 1997) ; Vision claire d'un semblant d'absence au monde (Apogée, 2003) ; Un habitué des courants d'air (Cadex, 1999) ; Café Rousseau (La Digitale, 2000) ; Ombres classées sans suite (Cadex, 2001) ; La mort de Grégory Corso (La Digitale, 2001) ; Lettre à Hrabal (Jacques Brémond, 2002) ; Bavard au cheval mort et compagnie (Cadex, 2004) ; De passage à Brest (La Digitale, 2004) ; Les buveurs de bière (La Digitale, 2005).

Essai : Jules Lequier et la Bretagne (Blanc Silex, 2001).

 

04/03/2008

Marc Fontana (2)

 

L'incrédule

 

Quelles étaient toutes ces eaux cachées en des lieux improbables si seules nuit et jour et qui se sont rejointes rampantes sinueuses pour former le grand détour le mouvement d'impatience l'élan orné de paysages

 

Veines souterraines affleurement dans les friches dans l'étendue dans la main des saisons et la durée qui ravine le cours de l'oubli

 

Pourquoi tel passage pourquoi le pli fut-il si marqué comme les pas décident à la fourche du chemin et volent le lointain dans ses premières empreintes ?

 

 

Épreuves du grand moment. - L'Harmattan, 2008. - 106 p.

- (Collection Levée d'ancre).

 

 

Marc Fontana

 

Né en 1957. Autres recueils : L'Été devenir (Barré Dayez, 1982) ; Poèmes jazz (Fer de chances, 2001). Poèmes publiés dans les revues Poésie, Arpa, Friches, LineaDiérèse et Place de la Sorbonne.

Nouvelliste, traducteur de l'italien (Moravia, Ripellino, Marisa Volpi, aux éditions de l'Aube) et du lituanien (Vladas Braziùnas, aux éditions de l'Harmattan), rééditeur des oeuvres de Louis Parrot et rédacteur en chef de la défunte revue Linea.

Pour plus d'informations, voir : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2006/05/marc_fontana.html

Recueil publié en octobre 2018 : Traversée du Parc Ritan, éditions Au Pont 9 (Paris), préfacé par Pierre Dhainaut.

 

29/12/2007

Anne Stell

 

Homme

 

Homme aux yeux de colline ouverts sur la permanence des jours, ton regard abreuve les ruisseaux taris par le passage des bêtes sauvages.

Tu es la source du mot, incandescence de toute parole, lèvres ouvertes sur la persistance des saisons.

A même la pierre des rochers s'inscrivent les langues de l'univers.

Nul sentier n'ignore ta présence car tu perpétues la naissance même de l'être.

 

Homme de feu et de sang aux parcours d'hirondelles sous les fenêtres pourprées du jour, homme de hanches et d'étreintes aux contours incertains de la nuit, tu avances dans le ventre marécageux du fleuve.

A la courbure des joncs, tu mesures et démesures la vitesse du vent.

 

Tu dis les mots embusqués dans les taillis enténébrés. La musicalité de ton chant épelle des syllabes muettes. Tu respires à la césure du temps, au diapason de ta solitude, de notre solitude.

 

Homme de vent et de mémoire, les moulins déroulent l'espace de leurs ailes striées.

A l'approche des orages, tu lies les gerbes et les engranges pour les jours de famine, homme de plaines et de terres fertiles en blés.

 

Tu allumes des feux de silex aux margelles du soir pour dissuader les animaux nocturnes. La peur hante ton esprit et tu dors sur ta hache de pierre. Tes rêves sont pleins d'odeurs de chasse et de chiens sauvages que tu tentes d'aprivoiser.

 

La pluie et le vent n'arrêtent pas ton geste de durer.

 

Homme d'écoute tu fréquentes les temples secrets de ta mémoire. Les sorciers appellent la pluie sur les terres desséchées et les autels s'ornent de fleurs fragiles comme le grain du ciel.

Soudain l'éclaircie retrace les chemins anciens.

 

Tu parcours les sentiers ébréchés de sources fraîches où tu ravives ton corps assoiffé de clarté.

La nuit tombe sur toi si tu n'y prends garde et la forêt de secrets et de présages libère alors ces pouvoirs que tes ancêtres redoutaient.

 

Tu interroges les sorciers, les astres, tu sacrifies sur les autels certains des animaux que tu captures. La mort te guette à chaque pas et tu marches dans la conscience de durer.

 

Homme en lutte perpétuelle avec le néant.

Il suffit de ton regard acéré comme une lame tranchante.

 

Les animaux te craignent même ceux que tu apprivoises et enfermes dans des cages toujours trop étroites semblables à ces prisons où les êtres humains désertent le réel.

 

 

Publié dans le 6ème numéro

de la revue défunte Linea (été 2006).

 

 

Anne Stell

 

Née en 1947. Recueils : Interstices du temps, en collaboration (Les Herbiers d'images, 1997) ; L (Hélices, 2005).

Anime les soirées poétiques Territoires du poème (Paris 6e).